Dimanche 28 janvier 2024

CHF 50 | 30.-

19:30 Eglise de Rougemont

J. Haydn
Sonate pour piano n° 47 en si mineur Hob. XVI:32

M. Ravel
Miroirs

F. Liszt
Réminiscences de Don Juan S.418

Sous le patronage de

Présentation de concert

Haydn : Sonate pour piano n° 47 en si mineur
On croit que les idéologies forment des blocs unis : le mouvement viennois « Sturm und Drang » (Tempête et Passion) apparu à la fin des années mille sept cent soixante , sans rompre avec les Lumières, dénonça pourtant une tyrannie de la raison. Prônant une expressivité plus tangible et un retour à la nature, son influence préromantique fut d’abord littéraire, portée par Goethe. En musique, on l’associe à un regain de tonalités mineures, à un goût pour le clair-obscur et à une recherche d’étrangeté. Cette Sonate de 1776 incarne-t-elle, comme on l’a dit, l’empreinte du « Sturm und Drang » sur Haydn ? Refusons de trancher, puisqu’au même moment, la naissance du pianoforte transforme l’écriture pour clavier : cette évolution du clavecin, qui permet à l’instrumentiste de moduler l’intensité des sons selon la force exercée sur les touches, offre en effet des contrastes, une intimité et des possibilités d’interprétation neuves. Et au-delà des idées, comment ne pas tenir compte de deux génies essentiels : Bach, dont la mort en 1750 a laissé un vide à la hauteur de son inventivité, et qui imprègne la partition tel un divin fantôme qu’aurait digéré le classicisme. Mozart ensuite, que Haydn n’a pas encore rencontré, mais dont la grâce et l’insolente clarté bouleverse le paysage pianistique de son temps. In fine, en cette croisée des chemins de la fin du XVIIIe, une seule certitude : de nous trouver face à une œuvre-somme unique en son genre, mêlant la polyphonie et le contrepoint aux échos du baroque mourant, annonçant l’orage beethovénien sans renier la glorieuse équanimité qui le précède. Bref : un pur miracle.

Ravel : Miroirs
Au début du XXe siècle, la fertilité créative atteint un autre sommet. Après Liszt, mort en 1886, Ravel est l’un des prospecteurs en chef des territoires inexplorés du piano. Matière et idées fonctionnent toujours de pair : l’impressionnisme enrobe son geste lorsqu’il compose dès 1904 ces cinq pièces débordantes de reflets, de jeux d’eau, d’impressions fugitives… Mais on pourrait aussi parler de synesthésie, tant ces Miroirs résonnent avec la conception d’un Messiaen à venir : « Lorsque j’entends de la musique, je vois des couleurs correspondantes. » Les Noctuelles, au demeurant, éparpillent mille teintes en séries chromatiques (demi-ton par demi-ton) à l’image des vacillations du papillon dont elles s’inspirent. Les Oiseaux tristes posent un paradoxe : l’accès aux nuages ne garantit pas le bonheur. Plutôt que l’envol, la dégringolade. Plutôt que l’air, le souvenir de la légèreté. Les volatiles que peint Ravel sont « perdus dans une sombre forêt aux heures les plus chaudes de l’été ». Avec ses arpèges infinis, Une barque sur l’océan exalte la valse perpétuelle des vagues. Tout ondoie – même les tonalités. Les notes se font bulles. On s’enfonce dans diverses profondeurs : de l’inertie des abysses au miracle de la surface. L’Aubade du bouffon qui suit (le titre original est Alborada del gracioso) installe un second paradoxe : la rencontre du folklore ibérique et d’une recherche radicale. Il n’est pas étonnant que Ravel ait plus tard orchestré cette pièce : au seul clavier, elle semble déjà contenir la voix de multiples instruments, à commencer par les cordes d’une guitare. Ce qui rend son exécution si ardue. La vallée des cloches conclusive exploite toutes les capacités de résonance du piano. Et l’impressionnisme de céder le pas à la phénoménologie de Bergson, méditant au même moment : Les sons de la cloche m’arrivent successivement. Soit je retiens chacune de ces sensations successives, recueillant l’impression qualitative que leur nombre fait sur moi, soit je me propose de les compter, mais les sons dépouillés de leur qualité, vidés, laisseront des traces identiques de leur passage.

Liszt : Réminiscences de Don Juan
L’histoire de la musique est traversée de statues de commandeurs. Elles ne sont pas toutes sévères comme dans Don Juan – mais on ne les déloge pas davantage que dans Don Juan. D’ailleurs faut-il les déloger ? Tel n’est pas l’avis de Liszt qui, toute sa vie, célébra ceux qu’il considérait comme ses pères fondateurs. De transcriptions en arrangements, d’inspirations en improvisations libres, les répertoires de Beethoven, Schumann, Schubert, et ici Mozart, auront fait vibrer son monde intime. Marque suprême d’élégance, selon le musicologue Gil Pressnitzer : « Celui qui aura créé la technique moderne du piano savait s’effacer avec pudeur. » Et d’ajouter que l’artiste « n’a pas voulu simplement écrire la musique du futur, ou édifier un temple à sa propre dévotion comme Wagner, mais a mis toute sa sensibilité poétique pour faire passer le feu détecté chez les autres ». Cette générosité fut cependant rendue possible par le talent sorcier de Liszt, qui sut hybrider son langage et dompter son instrument fétiche jusqu’à l’antithèse de son terroir : en l’occurrence, la voix. Ainsi, n’entendons pas ces Réminiscences comme un résumé de la partition de Wolfgang. Au contraire voyons-les, telle une compression de César, pour sentir, au-delà des sons, l’aspect plastique de l’œuvre, qui décompose et recompose le visage d’un opéra comme Picasso le cubiste décomposa et recomposa celui de Dora Maar. En croyant être le premier.

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