Samedi 3 février 2024

CHF 150 | 110 | 50 | 30.-

S. Rachmaninov
Danses symphoniques pour deux pianos op. 45b

C. Saint-Saëns
« Le Carnaval des animaux »

Sergey Ostrovsky, premier violon
Pascale Servranckx-Delporte, deuxième violon
Lyda Chen, alto
Dan Sloutskovski, violoncelle
Ivy Wong, contrebasse
Claudia Pana, flûte
Dimitry Rasul-Kareyev, clarinette
Sébastien Cordier, percussions

Sous le patronage de

Présentation de concert

Saint-Saëns : Le Carnaval des animaux
Le petit Camille fut précoce. À onze ans, il donnait des récitals Beethoven et Mozart au piano. À dix-huit, il était nommé organiste de l’église Saint-Merri à Paris, avant celle de la Madeleine, – où Liszt le sacrera « premier organiste du monde ». Pourtant, c’est dans sa maturité que notre génie livrera son œuvre la plus malicieuse. La disparition imminente de sa mère dicta-t-elle ce retour aux origines ? Saint-Saëns ayant gardé tout sa vie un lien fusionnel avec cette femme, on peut penser que ce revenez-y d’espièglerie constitua pour lui un ultime voyage au pays coloré des primes années. C’est-à-dire au pays roi de l’orchestration. Car en enfance, corps et pensées ne sont pas divisés. On accepte tout pêle-mêle ainsi que le chante Trenet : « La vie, la mort, les squares et les trains électriques. Guignol, et les coups de trique… » Francis Blanche rendit hommage à la musique du Maître Saint-Saëns pour le plaisir de nos cinq sens. En l’espèce, l’instrumentation de ce Carnaval, qui varie à chaque mouvement – donc à chaque animal –, est prévue pour deux pianos et deux violons, mais aussi un alto, un violoncelle, une contrebasse, une flûte, une clarinette harmonica, un xylophone… la formation étant au complet pour le seul finale. Avant cela, tous les mariages sonores seront explorés. Saint-Saëns n’avait-il pas fondé la Société nationale de Musique pour redorer la composition instrumentale, délaissée par le public au profit du théâtre ? Avec cette pièce écrite en 1886, l’artiste rapatrie le théâtre (autrement dit : le scopique) du côté de la musique. Ainsi il n’est pas étonnant d’apprendre que Saint-Saëns fut le premier compositeur de l’histoire du septième art français. Ni que Guitry lui consacra un portrait dans son génial Ceux de chez nous (1915) où l’on découvre un Camille barbu dirigeant un orchestre de quatre-vingts musiciens « dont il était le seul à percevoir les harmonies », ledit orchestre s’avérant réduit à un unique pianiste : Cortot. Ni enfin que ce Carnaval alimenta le cinéma mondial, de Malick à Fincher, jusqu’à la B.O. de Harry Potter. Pourquoi ce succès ? Il faut croire que Saint-Saëns, qui conçut cette partition comme une plaisanterie à l’occasion d’un concert de Mardi gras chez le violoncelliste Charles Lebouc – ça ne s’invente pas –, sentait quelque part que le XXe siècle serait protéiforme… D’ailleurs, avec ses claviers, ses pistons et ses pédales, l’orgue n’était-il pas dès le départ une machine d’homme-orchestre ? Un instrument en 3D ? À n’en pas douter, la passion que lui voua Saint-Saëns ébaucha les contours de la folle imagerie du Carnaval. Du prodigieux effet de bulles-piano de l’Aquarium au frottement à cordes des Tortues regagnant leur carapace, sans omettre le galop fulgurant des Hémiones, ni le jardin extraordinaire des Fossiles – où les songes de toute enfance s’amalgament au substrat de l’histoire musicale, l’Ah ! vous dirai-je Maman de Mozart se muant en comptines du Clair de la lune et du bon tabac… avant d’aboutir à l’air de Rosine du Barbier de Rossini ! Honteux de sa pulsion fantaisiste, le vieux Saint-Saëns interdit l’exécution de ce Carnaval jusqu’à sa mort, à l’exception du Cygne, un animal cher à Schubert et à Tchaïkovski, dont les plumes lui parurent caution de sérieux. Ce sera sa seule faute de goût d’oublier que les plus grandes œuvres sont drôles.

Rachmaninov : Danses symphoniques pour deux pianos
1917 : Rachmaninov fuit sa contrée natale, rejoignant les États-Unis avec ses mains pour seul capital, selon son ami Medtner. L’image est jolie mais occulte un détail : la mémoire légendaire de Sergueï, capable de rejouer, des années après, toute pièce entendue une fois. Supposons donc, en sus de ses fabuleuses mains, que le jeune artiste quitta à grand-peine son Bolchoï, mais avec cent tessons de Tchaïkovski, de Glinka, de Rimski-Korsakov dans les oreilles. Citons ici Horowitz : « Tous les Russes éduqués ont certaines choses dans le sang qui ne disparaissent jamais. » En dépit de l’adage, c’est donc en exil, coupé de son passé, que l’expatrié élabore près de New York deux Danses symphoniques pour orchestre ; arrangées en parallèle pour deux pianos. Sinon deux continents ? Car à l’image du Carnaval de Saint-Saëns, qui fut un retour à l’enfance, cette pièce est un retour vers la neige de Moscou. Malgré sa frénésie pour l’ordre et la régularité, l’auteur russe n’hésite pas en effet dans ce testament mi-conscient à jongler avec les harmonies, mêlant les accents infantiles de Pierre et le loup aux éclats sibyllins des Tableaux d’une exposition de ses compatriotes Prokofiev et Moussorgski. Le tout pétri de tropismes chopinesques, d’échos orthodoxes, et d’un goût pour l’avant-garde. Scriabine aurait dit du jeune Horowitz, convoqué ci-haut : « Il fera un bon pianiste, mais doit apprendre d’autres formes de musique : la peinture, la danse, le jazz. » Soit un spectre artistique total, éminemment slave – crucial pour l’exécution de ces Danses symphoniques. Ce sera de fait Horowitz qui interprétera le premier cette pièce en trois temps – matin, midi, soir, telle une allégorie de la vie. Six mois après, en février 1943, Rachmaninov obtiendra ses papiers américains. Il rendra l’âme le mois suivant, et du fait de sa nouvelle nationalité, se verra refuser la tombe qu’il espérait à Moscou, entre Scriabine et Tchekhov.

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